Réponses écrites à l’interview par Jean-Marc HUITOREL pour accompagner l’événement et l’exposition DANSE MACABRE, Catalogue et Exposition à Caen et à Rennes en 1993.

Commissariat Jacques PY, association ARDI, Caen ; Sylvie ZAVATTA, FRAC Basse-Normandie, Caen ; Yvette LE GALL, directrice du Triangle Centre culturel, Rennes.

 

Question 1.

Comment ressentez-vous le fait que des organisateurs d’exposition aient retenu votre travail dans le cadre d’une manifestation sur le portrait dans la photographie contemporaine par le biais du thème de la danse macabre ?

Au printemps dernier (avril mai 1992) j’exposais une quarantaine de mes photographies (appartenant à Du Portrait) dans l’Aître Saint Maclou à Rouen, siège de l’Ecole Régionale des Beaux-Arts, qui renferme certainement une des plus belles danses macabres de France. (Cf. carte postale jointe). Cet aître (!) construit entre le milieu et la fin du XVIème siècle est un ancien cimetière entouré des bâtiments du charnier qui l’accompagnait (pour des raisons de rendement pendant les épidémies) et la danse macabre « joue en frise » sur les pans de bois de la construction.

J’essaie en général d’être attentif aux signes et aux coïncidences, celle-ci était assez forte : montrer mes images de ces corps, de ces personnages arrêtés dans leur mouvement, cristallisés dans l’argent/métal de la couche (sensible) dans les bâtiments désaffectés d’un charnier (époque Renaissance tout de même !!).

L’œuvre de Rudolf Schäfer m’avait amené à réfléchir sur la question du passage d’un genre à un autre : le glissement du « portrait » à la « nature morte » et par conséquent au questionnement fondamental des « vanités ».

De la même manière, on peut en effet « envisager » le portrait photographique contemporain comme moyen efficace de revisiter un thème comme celui de la danse macabre alors même que ce thème est un peu marqué historiquement et un peu oublié.

Je me rappelle d’une belle formule de Jean Cocteau (qui a eu des lueurs) : « le cinéma, c’est la mort au travail ».

La danse macabre qui sous entend l’égalité ou en tous cas une doctrine égalitaire me fait penser aussi au génial Andy Warhol qui avait eu cette formidable intuition d’une sorte de « démocratie » universelle et radicale dont seule la photographie est capable : le même statut est accordé par le biais de la prise de vue (question de la distance) à la chaise électrique, à une vedette de show-biz, un inconnu dans un fait divers.

Question intéressante cependant dans sa pratique il impose une stylistique (comme tous les auteurs) alors qu’il se retranche derrière la prétendue objectivité de la machine à enregistrer. Chacun ses perversions.

Egalement un aspect qui me paraît intéressant en photographie : paradoxalement, alors qu’on est en présence d’un appareillage physico-chimique « pointu » et donc dans des questions techniques tangibles, mesurables, on bascule immédiatement du « physique » dans le « métaphysique » (pour utiliser un raccourci). Un excellent ami, Patrice Repusseau[1] dit souvent que « la photographie, c’est l’art métaphysique par excellence ».

De la même manière, alors que dans la peinture dite « surréaliste », on assiste à des productions souvent très laborieuses il semble qu’en photographie, là encore, on est plus immédiatement projeté dans un « univers surréaliste » (Brassaï, Wols, Tabard, même si ce n’est pas ma tasse de thé).

 

Question 2.

Pensez-vous que vos images soient des portraits ? Qu’elles aient à voir avec l’idée de la danse macabre et, plus généralement avec la mort ?

Oui, je pense que mes images sont des portraits.

Etymologiquement déjà : PROTRAHERE en latin : tirer en avant – produire au jour.

J’essaie de développer un travail autour de la notion de « portrait nu » (que l’on peut aussi écrire dans certains cas portrait/nu ou portrait-nu.

Le portrait nu est d’abord un portrait, il est radical, il se démarque des portraits officiels, de famille, du portrait de type Harcourt, du head-shot,, alors que « le nu » me semble appartenir à un genre de la tradition académique.

Indiscutablement, mes images ont à voir avec la mort (on ne peut pas en faire l’économie depuis un certain Roland Barthes) avec aussi probablement ma peur de la mort et avec la gravité des choses importantes dans la vie.

Je crois qu’un certain rituel n’est pas absent des séances de prises de vue.

 

Question 3.

Que signifie votre choix de la figure humaine ? Cela signifie-t-il la réhabilitation du concept « homme » dans le champ des expressions artistiques ?

Dans le contexte iconoclaste que nous traversons, je crois qu’il est important que la représentation (avec des arrières plans contemplatifs, militants ou autres) soit interrogée dans les pratiques artistiques contemporaines.

En ce qui me concerne la figure s’est imposée toute seule : les filles qui posent, qui posaient pour UNES avaient à peu près le même âge que celui que j’avais moi-même quand j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à la photographie, à la fin de l’adolescence. J’ai détourné un travail pour lequel j’étais missionné et payé pour les amener à réfléchir sur leur identité…

Rien ne me passionne plus que le vis-à-vis (de l’ancien français vis = visage). Je te joins pour ton agrément le joli petit développement étymologique dans l’article de l’Autre journal de ce mois-ci sur les « anti-onania ».

Depuis quelques temps, je m’intéresse de plus en plus sérieusement à l’icône comme prototype de la représentation et plus généralement à la question du rapport entre le verbe et le visible.

Pour la dernière partie de la question, je peux dire qu’étant né après la seconde guerre mondiale, je n’échappe pas à ce retour des valeurs générales « humanistes », à l’utopie de 1968 et des larmes provoquées par les grenades lacrymogènes, au spectacle du triste ramollissement de la dernière décennie où on a vu inventer le la musique sans musiciens pour les supermarchés, des cigarettes sans nicotine, des boissons sans sucre, sans alcool, sans calories, des journaux « gratuits » pour nos boites à lettres ! « je cherche un homme » disait déjà Diogène, trois siècles avant Jésus-Christ.

En effet, face à ce nivellement américaniste, à l’envahissement de la classe moyenne, de la P. B. P. (petite bourgeoisie planétaire) dixit Jacques Henric, le concept « homme » est assurément à défendre.

 

Bien à toi

 

PS : Lorsque j’ai exposé à Rouen, il y a quelques mois, j’ai eu droit à la télé régionale et en introduction j’ai été gratifié de cette merveilleuse citation de Gustave Flaubert : « Dansez, maintenant que vous êtes morts, maintenant que la vie et le malheur sont partis avec vos chairs« .

 

 

 

[1] Avec deux « s ».