À l’épreuve
Lorsque Marc Donnadieu est venu dans mon atelier pour choisir avec soin les photographies qu’il souhaite montrer dans le cadre de l’exposition Dans un jardin, elle-même reliée à la grande manifestation ROUEN-IMPRESSIONNISME du printemps 2010, petit à petit sont apparues des photographies qui ne ressemblaient pas à ce qui statistiquement caractérise la majeure partie de mon œuvre photographique depuis un peu plus de 25 ans (caractérisée essentiellement par la frontalité).
Toutefois, cette sélection me convient parfaitement car elle rend bien compte de l’aller-retour que je fais maintenant de manière incessante et régulière entre la France et le Japon où je passe environ un tiers de mon temps.
Cette sélection, car il s’agissait de ne choisir que quelques images à l’intérieur d’un corpus nombreux, renvoie à mon propos et à la quête que je poursuivais intuitivement en étant candidat à une bourse de séjour à la Villa Kujoyama à Kyoto. Dès la rédaction de mon dossier de candidature, j’ai exprimé mon ambition qui était de mettre à l’épreuve la camera obscura, héritière de la Renaissance italienne dans les jardins japonais de Kyoto eux-mêmes héritiers de la peinture chinoise pour le dire de manière un peu abrupte et rapide.
En effet, quelques années auparavant j’avais travaillé à partir du lieu du Potager du Roi à Versailles.
Le résultat de ce travail (1993-1997) s’intitule Cent vues du Potager du Roi ; c’était un travail, qui loin d’être seulement documentaire était une tentative de retrouver des axes privilégiés de vision en écho au cube perspectif de la Renaissance italienne et de la costruzione legittima codifiée par Alberti dans son Della Pittura en 1435. C’était sur le mode de l’éloge, inventaire et critique un hommage, avec un point de vue contemporain, à la culture française classique.
Dans les jardins japonais, pas de perspective monoculaire, pas d’Œil du Prince, mais au contraire, une perspective cavalière ou isométrique ou encore atmosphérique, et la plupart du temps un dessin préparatoire exécuté au pinceau et à l’encre, c’est-à-dire un outil fait de poils mouillés, de matière souple, une « pulpe » tenue par une main au bout d’un bras lui-même attaché à un corps… lui-même assis le cul sur un tatami, donc avec une ligne d’horizon très basse, dans une position de contemplation, loin de la position frontale et héroïque qui devait être celle de Louis XIV dans le Domaine de Versailles ou de Laurent le Magnifique quand il était au théâtre à Florence.
Il y a mille jardins dans le jardin japonais…
Dans les jardins japonais, mon pari était de me confronter à cette réalité autre ; mais avec un outil, un apparatus, un dispositif hérité de la camera obscura, un appareil de prises de vues photographiques : là était la mise à l’épreuve. Cette sélection modeste en rend bien compte.
Merci.
Jean Rault.
Novembre 2009.