2014 09 18-LE VOG. Allocution vernissage. (8 minutes environ).
Brouillon sur lequel Jean Rault s’est appuyé pour parler de son travail lors du vernissage de son exposition.

Ce n’est pas seulement parce que c’est l’usage, car c’est très sincère, je commencerais par remercier l’équipe municipale de la Ville de Fontaine qui a permis que cette exposition existe.

Qu’il me soit permis de remercier Marielle Bouchard, directrice du VOG pour son invitation, ses qualités, son discernement et son esprit affûté ; j’en profite pour remercier sa famille c’est-à-dire son époux et ses filles qui m’ont adopté pendant la période du vernissage.

Je remercie également Clémence qui fait un travail important et subtil à la fois. Clémence m’a aidé à accrocher et son aide a été très précieuse.

Enfin je remercie Christian et Franck qui ont transporté avec dévouement toutes ces œuvres depuis mon atelier en Normandie jusqu’ici.

Permettez-moi d’introduire mon propos en vous parlant de Martha Graham.

Martha Graham qui est née en 1894 et morte en 1991 était une grande danseuse et chorégraphe américaine, dont l’influence a été comparée à celle de Picasso dans les arts visuels, à celle de Stravinsky sur la musique ou a celle de Frank Lloyd Wright pour l’architecture.

C’était une révolutionnaire en quelque sorte et une révolution, ça ne consiste pas forcément à faire couler beaucoup de sang mais c’est modifier profondément les mentalités pour que les choses ne soient plus comme avant. Et quelquefois, pour ça, il y a les artistes.

Plutôt que de vous faire une visite guidée et penser à votre place et vous dire ce qu’il y a à voir dans mon travail, car je pense que c’est à vous de faire le chemin vers ces œuvres qui sont là, accrochées, je citerai justement Martha Graham qui disait :

« Lorsque la danse est sur tous les plateaux de théâtre, les charniers ne sont pas loin« .

Et comme moi, vous avez pu constater l’engouement de notre société pour la danse, la danse « moderne », la danse « contemporaine ». Il y en a partout : à la Biennale de Lyon, au Châtelet et au Théâtre de la Ville à Paris, le Ministère de la Culture a créé, il y a quelques années un Centre National de la Danse, et toutes les villes de France qui ont des théâtres inscrivent la Danse dans leurs programmes. Depuis plus d’une vingtaine d’années, La Danse et aussi Le Sport sont omniprésents dans nos sociétés envahies par ailleurs par la vague de l’entertainement, c’est-à-dire du divertissement.

Je pense et je ne suis pas le seul à le penser que cet engouement pour les corps qui dansent ou les corps qui font du sport dans des tenues aux couleurs qui flashent sont là bien présents autour de nous pour nous faire oublier les boucheries et les horreurs du XXe siècle et aussi celles qui nous environnent dès que nous allumons un poste de radio ou de télévision.

La première guerre mondiale : 21 millions de morts (je compte les civils).

La Deuxième guerre mondiale : Plus de 60 millions de morts (plus de la moitié étaient des civils).

Le Grand Bond en avant : les estimations oscillent entre 30 et 55 millions de morts selon les historiens (!). C’est un compte « à la louche » en quelque sorte !

J’arrête là le décompte macabre pour dire qu’il a beaucoup de fantômes à occulter.

C’est pourquoi les photographies de danseurs, de sportifs et de mannequins de mode que vous voyez dans les journaux, dans les magazines ou à la télévision, ont quelque chose de glorieux, de « jeune-en-bonne-santé » et d’une manière générale se présentent comme des modèles. Des modèles stéréotypés, formatés, à imiter.

Pourquoi je vous parle de tout ça ? parce que la photographie est trop souvent perçue par ses usages, c’est la photographie « ustensilaire » comme l’appelait Bernard Lamarche-Vadel. Elle est un outil de propagande, propagande commerciale qu’on appelle pudiquement publicité ou photo de mode, propagande politique ou journalistique qu’on appelle pudiquement « communication ». Comme dit Jean-Luc Godard, il ne faut pas confondre : l’information et le commentaire ; c’est-à-dire le « Comment Taire ».

Parlons maintenant de mes œuvres, parlons de ce qui est accroché sur les murs du Centre d’Art de Votre Ville.

La première photographie près de la porte d’entrée est un autoportrait au crâne que j’ai réalisé en 1997. C’est une Vanité, ce genre qui était très en vogue au XVIIe siècle. Et sa signification, c’est que je signe l’exposition dès l’entrée et je regarde les spectateurs dans les yeux et je leur dis mon effroi que nous soyons tous incarnés dans des horloges de chair.

Et faire des portraits c’est bien de ça qu’il s’agit, photographier des visages et des corps qui sont aussi bien le siège du bonheur que celui de la douleur, c’est aussi se faire l’écho des Icônes et des Annonciations.

La série de jeunes femmes qui ouvre l’exposition s’intitule UNES, car il y a les UNES et les AUTRES, c’est une série qui a été commencée 12 ans (je dis bien 12 ans) avant que « fracture sociale » ne soit un slogan politique largement utilisé dans une campagne électorale pour les présidentielles de 1995. Vous pourrez voir à quel point ces corps sont marqués alors que ces jeunes femmes ont entre 16 et 18 ans. Ce sont ces personnes que Raymond Barre appelait pudiquement « les 16-18″.

Après avoir photographié des jeunes femmes habillées devant un mur plutôt « nu », après avoir mis en évidence cette forme de dépouillement, de nudité, j’ai renversé l’anagramme UNES, U-N-E-S- et je l’ai remplacé par NUES, N-U-E-S, en photographiant des femmes nues chez elles. Et ainsi, j’ai poursuivi cette œuvre radicale, frontale jusqu’à aujourd’hui.

J’ai photographié des femmes qui avaient répondu à des annonces que j’avais passées dans des journaux dans la rubrique « Offres d’emploi » ou que j’ai rencontré par l’entremise d’un tiers, d’un ami ou d’un ami d’ami. Et j’ai poursuivi comme vous pouvez le voir dans mes livres et dans l’espace N°3 du VOG, ce travail de portraits-nus aux Etats-Unis et au Japon.

La série qui s’intitule « DIAMONDS ARE FOREVER« , et qui est accrochée sur le mur face à l’entrée et reproduite dans le livre qui accompagne cette exposition, est le résultat d’un travail de collaboration avec des Japonais à Kyoto, au cours des quinze dernières années. La première photographie de cette série a 15 ans et la plus récente a 6 mois.

Ce qu’il m’importe de vous communiquer, c’est que avec ou sans vêtements, c’est la radicalité et le dépouillement, cette forme de nudité dans le dispositif, dans cette forme de théâtre intime qui m’intéresse. Pas d’effets, pas de « trucs de photographe ».

Et comme vous l’avez compris, j’aime citer les auteurs, je vous livre une petite perle entendue récemment dans une interview de Pascal Convert, artiste :

Quand un artiste a la chance de rencontrer le réel, il ne le lâche plus.

Et je terminerai en citant Platon, dans le Gorgias, (IVème siècle av. Jésus-Christ) :

Le beau est la splendeur du vrai.

Merci